Estrangeiro

Almeida Garret, Viagens na minha Terra (Photographie André Lange-Médart, juillet 2014)

20 juillet 2014 – Je reprends la lecture de Viagens na minha terra d’Almeida Garrett, grand classique du romantisme national portugais, que j’avais abandonnée en 1997. J’y retrouve une note de café avec le mot ‘estrangeiro’. Au Portugal, ce mot n’a rien d’infâmant, bien au contraire. C’est un signe de distinction que l’on vous attribue avec amabilité. La biographie d’Almeida Garrett, poète romantique, révolutionnaire et ministre libéral, fait penser à celle de Lamartine. Mais son ‘Voyage’ fait plutôt penser à ceux de Stendhal. La langue de Garrett reste difficile pour moi, mais, avec les années, j’en goûte mieux l’ironie, ainsi que les références géographiques et historiques. Quel plaisir de rester un ‘estrangeiro’.

20 juillet 2024 – Mon statut d’estrangeiro à Lisbonne reste toujours aussi confortable. Douceur de retrouver des amis accueillants, petit verre d’alcool de Vinho verde en fin de repas. Mais je mesure encore mieux le privilège. A deux pas d’ici se trouve un bureau d’administration où les émigrés doivent se présenter pour régulariser leur statut. Tous les jours, sur le trottoir étroit aux petits pavés blancs, une cinquantaine de personnes fait la queue avant de pouvoir entrer. Beaucoup d’Africains, venus des anciennes colonies, mais probablement aussi des Brésiliens, des Ukrainiens,… Des jeunes surtout. Parfois une mère avec bébé dans les bras. Certains soirs, quatre ou cinq d’entre eux se sont aménagé une couchette de fortune sur un carton, une vielle chaise de bureau trouvée on ne sait où. Ils vont passer la nuit là, pour être sûr d’être les premiers admis le lendemain matin.

Quelque chose a changé dans le doux Portugal. Chega, parti populiste d’extrême-droite, ouvertement raciste, est devenu le troisième parti en termes de voix et le deuxième à l’Assemblea nacional, en termes de sièges. Les sièges à l’Assembée nationale sont plus confortables que cette vieille chaise de bureau, que je n’ose pas photographier, alors même qu’elle est un triste symbole de l’espoir de tous ces candidats estrangeiros.

L’étranger, Cacilhas (sur l’autre rive du Tage, face à Lisbonne), juillet 2010. (Photographie André Lange-Médart)

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